CELSO JUNIOR: ENTREVISTA
ENTRETIEN AVEC CELSO JUNIOR - PLAN K 13 - 1998
CELSO JUNIOR est à Ia fois artiste-peintre et membre de Mecs En Caoutchouc: une occasion de I’interroger à double titre.
M.E.C. — Dis-nous un peu qui tu es, d’oú tu viens.
CELSO JUNIOR — Je suis né au Brésil, dans une petite ville de i’intérieur de l’état de São Paulo, dans une famille de classe moyenne et de mllieu conventionnel. Alors que j’avais 4 ans, mes parents ont emménagé au Pantanal —une région fantastique de Parc Naturel, au-dessous de l’Amazonie - oú j’ai connu, six ans durant, une entance dorée.. et ma première expérience «caoutchouc».
Un jour, en effet, je découvris dans la garage d’un voisin une paire de »galochas» —ces sortes de brodequins montant de protection— entièrement en caoutchouc. Je restai fasciné autant par l’objet lui-même que par l’odeur de caoutchouc. Mes parents déménagèrent ensuite, en 1970, pour une petite ville du Paraná ou ils vivent toujours. A 17 ans, poussé par mes parents, je fis des études universitaires d’Ingénierie Chimique que je pris en dégoût. A 20 ans, je plaquai, à la consternation de mon père, pour entreprendre des études de Beaux-Arts. Mon pére finit par comprendre et me Iaissa un appartement à Curitiba.
En 1983, je vécus trois mois à Zurich, en Suisse, puis je revins au Brésil et en 1985, je sortis diplômé de l’École de Musique et de Beaux-Arts du Paraná. J’eus ensuite un parcours varié : documentaire, styliste, producteur de video et de cinéma publicitaire, dessinateur de mode, etc. A l’âge de 27 ans, je quittai définitivement le Brésil.
M.E.C. — Pourtant, aujourd’hui encore tu revendiques ton statut de Brésilien. Que représentent pour toi et pour ton inspiration ces deux pôles, l’Europe et le Brésil?
CELSO JUNIOR — Déjà enfant, je rêvais de l’Europe. J’y étais allé plusieurs fois, — dont la mémorable Noêl 1986, passe au Coloherne, à Londres ! Le paradis sûr terre !— mais cela ne suffisait plus, et à mes retours, Ie Brésfl me semblait plus vide encore.
Je n’ai toutefois pas, consciemment de répulsion ou de fascination à l’égard du Brésil : lá sont , indubitablement, mes racines, et mon passé; mais c’est un peu comme une vie antérieure; au point que je n’ai envie d’y retourner, même pour des vacances. De plus, il manque, au Brésil, un certain respect politique et culturel: autrefois, cela me pesait; aujourd’hui, je me sens tout à fait un «citoyen du monde». J’ai volontairement choisi de vivre au Portugal: depuis mon arrivée, j’ai travaillé à la Fondation Gulbenkian, ai commencé mon doctorat à propos des... uniformes d’une police militaire portugaise, ai lancé et dirige la Festival de Cinéma Gay & Lesbien de Lisbonne, et je prépare actuellement Ia deuxième conférence mondiale d’homoculture qui aura Iieu en novembre 99. Bien sûr, je peins toujours. Lisbonne est dabord une belle ville et j’ai besoin de beauté autour de moi : architecture ou... policiers portugais... sans conteste les plus beaux
du monde.
Lisbonne est aussi un point de vigile sûr l‘Europa, et à deux heures d’avion de Paris, Londres ou Amsterdam. Je ne pense pas que I’Europe soit plus décadente que d’autres pays. A mon avis, si déclin II y a, il est généralisé, et la différence, c’est que la décadence européenne a vraiment du charme et tout y est propice à la tragédie universelle décors & costumes.
L’Europe et la décadence, dirais-je, ont toujours été partie prenante de mon projet.
Alors...
M.E.C. —Dessinais-tu déjà des gars en bottes en caoutchouc, au Brésil ? Et éprouves-tu le même type de jouissance avec tes tableaux et avec tes bottes en caoutchouc?
CELSO JUNIOR — J’aí toujours peint das gars bottés. Mais ce que je fais aujourd’hui au Portugal est três différent : d’abord, au Brésil, je dessinais, sûrtout; ici, je ne fais que des peintures à l’huile. Mes expériences sont paradoxales : alors qu’au Brésil ma peinture était libre, mais três foncée et grise, ici elle est plus technique, sans la liberté des coups de pinceaux cornme auparavant, mais avec une total domination des couleurs. Bien ser, quand je peins, l’orgasme mental est toujours lá. Quelquefois je suis même totalement excité physiquement, et iI m’arrive même de me branler en cours de route.
M.E.C.—Tu es, toi aussi, un fétichiste des bottes en caoutchouc. Je crois que tu aimes aussi les bottes en cuir. Quelle la différence fais-tu entre les deux? Et Ie latex?
CELSO JUNIOR — Je suis complètement fétichiste. Les rituels fétichistes m’ont toujours fasciné; et depuis mon enfance, cela s’est précisé: j’aime autant les bottes en caoutchouc que les bottes d’équitation en cuir —high boots—, noires. II existe, II est vrai, une différence entre les deux, mais c’est três subjectif. Les bottes en cuir représentent l’union entre deux forces puissantes, le sexe et le pouvoir: le sexe représenté par le désir sans limite de possession de la beauté; et le pouvoir par l’association de la possession et de la domination. II faut souligner ici ma fascination pour les uniformes militaires et en particulier tous ceux liés au despotisme, à l’intolérance et à une forme, bien sûr vaine, d’invincibilité. Je peux citer ainsi les soldats mexicains des années 1910, les Prussiens ou encore les SS. L’univers des bottes en cuir et des uniformes fait partie de mon quotidien. Les bottes en caoutchouc représentent un degré de plus dans mon échelle fétichiste, mon intimité. Quand on peut atteindre à ces deux extrêmes: raffinement total et attitude primaire totale, I’extase est atteinte. Je m’explique: un policier, motard, sanglé dans son uniforme et ses bottes en cuir, aprés une journée harassante et stressante psychologiquement, est récompensé lorsque, ses bottes en cuir enlevées, il enfile ses pieds encore chauds dans des cuissardes en caoutchouc, et reste habillé ainsi, toute la nuit durant, à dormir simplement. Il est clair que je ne peux pas vivre sans bottes mais je n’éprouve rien de particulier à porter de Iatex. Ce que j’aime vraiment, ce sont les combinaisons de travail, les vêtements de chasse et de pêche, les cirés portés avec des bottes en caoutchouc ou des cuissardes. Et dire qu’au Portugal, il y a des pêcheurs qui portent constamment des cuissardes Quel pied !
M.E.C.— Ces bottes et ces cuissardes, les collectionnes-tu, comme Pascal ? Les portes-tu souvent? Et te définis-tu tol aussi comme exhibitionniste?
CELSO JUNIOR — Je possède, en ce moment, 150 paires de bottes en cuir ou en caoutchouc —majoritairement en caoutchouc— et une trentaine de paires de cuissardes. Pascal en a beaucoup plus..
Je les range partout, chez moi, sûr des étagéres, ou accrochées au plafond, au-dessus de moi. Chez moi, je suis toujours en bottes en caoutchouc; dans Ia rue plus souvent en bottes en cuir, mais ça varie. De même quand je voyage à l’étranger. Je me sens davantage voyeur qu’exhibitionniste. J’ai assûrément plus de plaisir à voir un gars en bottes qu’à m’exhiber moi-même, et je crois que je suis doublement «voyeur», car lorsque je peins. j’ai envie aussi d’éterniser le moment de plaisir visuel.
M.E.C— Pour finir, tu as pour projet ambitieux de dessiner, en collaboration avec M.E.C., te plus grand nombre de gars en bottes en caoutchouc, ou de membres de M.E.C. Pourrais-tu nous en dire plus?
CELSO JUNIOR — M.E.C. est un véritabte réservoir de fantasmes. J’avais déjà rencontré d’autres gars branchés, avant, et en avais fait le portrait, comme les deux gars flgurant sûr Ia carte de voeux que M.E.C. a publiée, mais je n’avais jamais rencontré jusqu’alors autant de véritables fétichistes, partageant apparemment un même fantasme, mais le vivant chacun dans sa propre singularité. Découvrir ces ‘MECs» et les portraiturer représente pour moi le «top». J’ai commencé en Bretagne, et j’ai envie de peindre le plus grand nombre de MECs possible, en adaptant mon style en fonction du modêle —corps ou âme—, et avec pour seule constante la peinture à l’huile et les grands formats.
Bien sûr, je souhaite pouvoir exposer le fruit de ma collaboration avec M.E.C. à Lisbonne, Paris, Bruxelles ou partout ailleurs... J’ai commencé Ià un projet qui me prendra toute la vie.
M.EC. — Et qui nous bottera tous...
<< Home